Les cuisiniers sont en droit de se poser des questions concernant le coronavirus. D’un point de vue sanitaire, pour soi et pour les autres. Jusque-là rien de nouveau. Il en va de la responsabilité professionnelle. La question peut se poser quant à l’alimentation en général et ce qui est proposé côté cuisine. L’interrogation est pertinente pour les cuisiniers de collectivités. Pour l’heure le problème se pose moins pour la restauration commerciale sauf quand elle propose de la vente à emporter ou livrée. Questionnement pour toutes personnes professionnelles ou non, cuisinant à domicile.
A priori, en l’état actuel des connaissances, on ne suspecte pas de contamination du coronavirus par l’aliment en tant que tel. La contamination de l’aliment par l’homme lorsqu’il le manipule, le propose à la consommation est une question qu’il n’est pas totalement illégitime de se poser.
Le problème des virus1 n’est pas nouveau. La règlementation recommande de faire l’inventaire de tous les dangers. Et d’en évaluer les risques. Ce risque est présenté comme un problème émergent tant pour l’industrie agroalimentaire que pour les cuisiniers. En 2007, on a estimé que presque 12 % du total des épidémies d’origine alimentaire signalées en Europe étaient imputables à des virus. Et ce pourcentage a atteint 14 % en 2012, selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
1 Virus : agent infectieux nécessitant un hôte, souvent une cellule, dont il utilise le métabolisme et les constituants pour se répliquer. https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus
Les virus d’origine alimentaire sont une cause commune de gastro-entérite.
Il existe plusieurs types principaux de virus d’origine alimentaire :
Les norovirus, qui doivent leur nom à une épidémie de 1972 à Norwalk (OHIO). On distingue les norovirus G1 et G2. Ils ont à l’origine de gastro-entérites. On parle communément de « grippe intestinale » : diarrhées, vomissements, douleurs abdominales…
Les rotavirus doivent leurs noms à leur forme de roue (confère photo ci-dessous). Souvent associés à la gastroentérite chez l’enfant.
Les virus responsables :
de l’hépatite A : nausée, fièvre, voire ictère (communément appelé « jaunisse »)
de l’hépatite E : sensiblement comme l’hépatite A. Comme indiqué ils sont à l’origine d’une atteinte du foie. Ils sont appelés hépatovirus.
D’autres virus plus rares comme le corona virus. Ce dernier est reconnu comme étant d’origine respiratoire.
Les aliments peuvent être contaminés par les eaux environnementales, les eaux d’irrigation ou à différents stades de leur vie (culture, récolte, stockage, transport, vente, préparation du plat…) via une contamination manuportée (FAO/WHO, 2008). Les végétaux et les fruits peuvent être contaminés via la source d’eau d’irrigation (nappes phréatiques ou puits contaminés, eau de réseau contaminée…) ainsi que via des engrais biologiques (déjections animales et boues d’épandage n’ayant pas subi de traitement thermique) qui peuvent être utilisés en culture traditionnelle (Morin and Picoche, 2008). L’eau de mer peut être contaminée par une fuite des égouts, ou par des eaux usées mal traitées. Les coquillages (organismes filtreurs) peuvent alors être contaminés par l’eau de mer qu’ils filtrent induisant la concentration des virus au sein de leurs tissus digestifs.
Dans le cas d’une transmission zoonotique[2], la contamination s’effectue soit par contact direct avec l’animal infecté soit par la consommation d’aliments provenant d’animaux infectés (consommation de viande ou de produits issus de cet animal).
Le pouvoir zoonotique de certains virus a été démontré (comme pour le virus de l’hépatite E transmis par le porc notamment et le sanglier), et il a été suspecté pour quelques autres virus comme les rotavirus et les norovirus.
Tous les virus d’origine alimentaire proviennent des intestins des hommes et des animaux. De ce fait, ils sont souvent véhiculés par les fèces ou autres fluides corporels.
Comme les virus ne se reproduisent pas dans les aliments, la propagation des virus via les aliments a trois causes majeures :
La manipulation des aliments sans respecter une hygiène suffisante ;
Le contact des aliments avec des déjections animales, les effluents humains ou les eaux d’égout ;
La consommation d’animaux eux-mêmes contaminés par des virus : la viande (le porc), le poisson, etc...
Document[3]
Pour se résumer les virus peuvent être présents dans :
Légumes et fruits
Les herbes et épices
Les mollusques bivalves (huîtres, moules, etc…)
Les aliments préparés à l’avance
L’eau
La viande
L’analyse des risques a conduit les autorités sanitaires à circoncire le risque viral véhiculé par l’alimentation. Des précautions sont prises.
Sensibiliser et former aux règles d’hygiène (par exemple se laver les mains, laver les fruits et légumes et les manipuler correctement, conserver les aliments au réfrigérateur et cuire suffisamment la viande de porc). Ces règles sont particulièrement importantes dans les lieux comme les hôpitaux où de la nourriture est préparée pour des personnes malades ou fragiles,
En cas de maladie, relever de leur poste les employés habituellement affectés au service,
Utiliser de l’eau propre pour irriguer les cultures, particulièrement celles qui ne seront pas transformées,
Eviter d’utiliser du fumier d’origine animale pour fertiliser les cultures, particulièrement celles qui ne seront pas transformées,
Pratiquer la conchyliculture dans des eaux de mer propres, protégées de toute contamination par les égouts
Au niveau des cuisines :
Les Guides de bonne pratique d’hygiène
Le recours au système HACCP
L’OMS, L’EFSA, L’ANSES sont de concert pour affirmer qu’il n’existe pas de preuve que les aliments puissent constituer une source ou une voie de transmission.
Il est à priori plus facile de jouer sur les facteurs extrinsèques en cuisine.
Il semble que les cuisiniers disposent de deux types de barrières (ou haies) :
La situation actuelle inspire que tous les acteurs mettent en place les enseignements de l’HACCP, tous consommateurs confondus : maîtriser (en plus des dispositions prises plus haut) le couple temps/température, arme efficace de destruction massive…
La thermorésistance, c'est la capacité d'une bactérie (virus) à résister à un traitement thermique létal, caractérisée par 3 paramètres: D à une température donnée (t°C) et z. Pour rappel :
D(t) est le temps nécessaire pour baisser la contamination de 10, soit la réduction décimale. D est un temps en minutes.
Z est la variation de température permettant de multiplier ou diviser D par 10. Z température augmentée qui divise D par 10. Z température diminuée qui augmente D par 10. En général Z varie de 5 à 10 °C (à valider pour les virus….).
Pour mémoire la température de 70°C est souvent retenue pour une destruction des bactéries pathogènes sous forme végétatives. 63 °C pour arrêt de son développement (multiplication).
L’exemple proposé donne : 63 °C et 4 minutes pour obtenir une division de la population de coronavirus par 10 000. Il n’y a pas réduction décimale mais « réduction décimale au 10 millième ! ? ». La littérature indique que le virus de Norwalk résisterait jusqu’à 60°C, sans intégrer le facteur temps….
La population microbienne et/ou virale se concentre à l’extérieur. Les traitements habituels tels que pocher, saisir, rissoler, colorer dépassent largement (voire très largement) les températures étudiées ici.
Des virus peuvent être déjà présents dans notre alimentation et pour lesquels on n’a pas pris vraiment de décision « chiffrée ». Il n’y a pas de norme pour les critères de sécurité sanitaire à l’inverse des bactéries cf. Règlement européen (CE n°2073/2005).
La raison en est qu’il est beaucoup plus difficile de révéler la présence de virus dans un aliment. On ne dispose pas partout de méthodes standardisées de détection des virus, si bien qu’il est difficile de fixer des normes pour la présence de virus dans les aliments. On se fonde souvent sur des analyses microbiologiques pour le contrôle de la qualité, alors qu’il a été prouvé que ces critères ne suffisent pas à protéger des maladies alimentaires d’origine virale. Cependant, le Comité européen de normalisation a récemment développé et rendu publique une méthode de laboratoire standardisée (c.-à-d. une méthode agréée, utilisable par différents laboratoires et donnant des résultats comparables) permettant de détecter et de chiffrer la présence de norovirus et d’hépatovirus dans différents aliments tels que les coquillages, les fruits, les produits frais et l’eau en bouteille.
L’hygiène est une préoccupation majeure dans nos cuisines. Toutes les préconisations « traditionnelles » sont bien évidemment de rigueur. Le cuisinier peut apporter une contribution complémentaire en faisant encore plus attention à sa manière de cuisiner. Nous ne « découvrons » pas l’intérêt de la cuisson…Mais, porter une attention particulière au couple température/temps, constitue simplement une arme supplémentaire.
Dans l’attente d’infirmations et/ou de confirmation, les cuisiniers (autres personnes en tenues blanches) feront preuve de professionnalisme…
Il semble que l’on ne puisse pas descendre en-dessous de 60 °C. Les cuisiniers auront à cœur de cuire comme en collectivité à 63 °C pendant 4 minutes. En dessous (mais pas en dessous de 60°C) et plus longtemps pour les autres.
Notre gastronomie et notre tradition alimentaire sont fondées sur la qualité des produits. La dimension sanitaire est une constante bien ancrée dans notre culture.
Jean Michel TRUCHELUT
Diététicien-nutritionniste
Qualiticien
Sites consultés
Humanité & Biodiversité : http://www.humanite-biodiversite.fr/article/covid-19-le-role-potentiel-des-animaux-domestiques-et-des-aliments-dans-la-transmission-du-virus?fbclid=IwAR2hSNgSw66UktJkyWdXtZIf4n97vwmDgbBpgLtb0wGjQkT-XWBn1vR7QHI
MERIEUX Nutrisciences : https://www.merieuxnutrisciences.com/fr/content/détection-de-virus-dorigine-alimentaire
EUFIC : https://www.eufic.org/fr/food-safety/article/les-maladies-virales-dorigine-alimentaire
Service public fédéral. Belgique : https://www.health.belgium.be/fr/alimentation/securite-alimentaire/dangers-microbiologiques-et-hygiene/toxi-infections-alimentaires-0
IFIP Animal Société Aliment. Cours. Pdf. - Véronique Zuliani - http://academieveterinaire.free.fr/academie/zulianw.pdf
ENVT Denis Corpet - Ecologie microbienne des aliments - http://fcorpet.free.fr/Denis/W/Cours-Ecologie-Microbienne-polyWord-DC08.pdf
Les gastroentérites : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gastro-entérite
OMS : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/food-safety
Véronique Zuliani : http://academieveterinaire.free.fr/academie/zulianw.pdf
1 Virus : agent infectieux nécessitant un hôte, souvent une cellule, dont il utilise le métabolisme et les constituants pour se répliquer. https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus
2 Zoonose : maladie ou infection dont les agents se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l’être humain et vice-versa. https://fr.wikipedia.org/wiki/Zoonose
3 IFIP Animal Société Aliment
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